© Festival de Bayreuth
Pour sa nouvelle production de Tristan et Isolde, le Festival de Bayreuth explore la personnalité des deux amants à l’aune de leur passé: selon Andri Hardmeier, le dramaturge du festival, leur amour extatique est le fruit de ce qu’ils ont vécu avant les événements relatés dans l’opéra de Wagner.
Rendez-vous incontournable des wagnériens, le Festival de Bayreuth donnera le coup d’envoi de son édition 2024 ce 25 juillet, avec une nouvelle production de Tristan et Isolde. L’ouvrage n’est pas l’œuvre de Wagner la plus fréquemment donnée sur la «Colline Verte» et la difficulté de sa partition en est sans doute l’une des raisons. À sa création, l’opéra était réputé «injouable», considéré comme une épreuve pour les interprètes des deux rôles principaux, l’un et l’autre particulièrement complexes et dont l’évolution des caractères est drastique au gré de l’ouvrage : Tristan doit d’abord être un personnage réservé avant d’exprimer l’exaltation du jeune héros, alors que l’interprète d’Isolde doit pouvoir exprimer tour à tour la révolte de la jeune femme, toute sa sensualité et enfin sa mort d’amour évanescente et extatique.
À Bayreuth, ce sont Andreas Schager et Camilla Nylund qui tenteront de relever ce défi dans la mise en scène de Thorleifur Örn Arnarsson et pour mieux cerner la psychologie des deux amants, ils pourront notamment s’appuyer sur le travail d’Andri Hardmeier, le dramaturge du Festival de Bayreuth, qui se confiait récemment sur les ondes de BR Klassik.
Une histoire qui débute avant l'opéra de Wagner
Selon le dramaturge, l’histoire de Tristan et Isolde débute en fait bien avant les événements relatés dans l’opéra de Wagner – qui ne sont que l’aboutissement de leur histoire antérieure, maturée depuis l’enfance, et «des exigences qui leur ont été imposées tout au long de leur vie». «Ce n'est qu'ainsi que l'on peut comprendre le moment où ils tombent amoureux».
L’équipe de production s’est appuyée sur le Tristan de Gottfried von Straßburg, vraisemblablement écrit au XIIIe siècle, et qui servi de principale source d’inspiration au compositeur pour imaginer le livret de son opéra. Tristan y est un orphelin: son père a été assassiné avant sa naissance et sa mère est morte en couches. Il est néanmoins élevé en héros et apprécié de tous, mais dans le récit médiéval de Gottfried von Straßburg, Tristan est déjà un personnage dépressif : il a tout pour être heureux, mais ne connait pas le bonheur. De son côté, Isolde est veuve: avant les événements de l'opéra, son époux Morold a été tué par Tristan, lui-même blessé au combat et qu’Isolde a soigné lorsqu’il s’est présenté à elle sous le faux nom de Tantris. Au début de l’opéra, quand Tristan et Isolde se retrouvent sur le bateau qui doit les conduire auprès du Roi Marke, la jeune femme fait face à son ennemi juré et à sa propre colère de l’avoir soigné sans savoir qu’il était le meurtrier de son mari.
« C'est sans doute la première fois qu'ils ont le sentiment d'être reconnus pour ce qu'ils sont vraiment»
Pour autant, selon le dramaturge Andri Hardmeier, l’amour irrépressible des deux amants ne résulte pas uniquement du philtre d’amour que leur donne la servante Brängane à leur insu– dans le récit de Gottfried von Straßburg, le philtre devait servir à consolider le futur mariage d’Isolde et de Marke, mais Tristan et Isolde le boivent simplement parce qu’ils ont soif. Andri Hardmeier en fait une autre lecture pour la production de Bayreuth : «Ils se regardent dans les yeux et il se passe quelque chose. Ce n'est pas un simple coup de foudre, mais il se passe beaucoup de choses entre ces deux individus, parce que c'est sans doute la première fois qu'ils ont le sentiment d'être reconnus pour ce qu'eils sont vraiment, et non pas pour le rôle auquel ils ont été assignés : le noble héros d’une part, et d’autre part la princesse dont la main a peu ou prou été vendue pour des raisons politiques. Isolde fait allusion à ce moment précis au premier acte, lorsqu'elle dit : "Il m'a regardé dans les yeux". C'est à ce moment précis que les deux amants se trouvent».
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Isolde avait réclamé le philtre de mort à Brängane. Elle le fait boire à Tristan pensant venger la mort de son époux Morold et s’apprête à le boire également afin de ne pas compromettre la paix conclue avec le Roi Marke. De son côté, Tristan a conscience que le breuvage peut être empoisonné, mais l’accepte néanmoins de la main d’Isolde, eu égard aux soins qu'elle lui a prodigué alors même qu'il avait tué Morold. Il se livre totalement à la merci de la jeune femme, elle en est manifestement touchée, il en résulte un acte d’une absolue vérité sur ce qu’ils sont réellement, au-delà des apparences.Selon Andri Hardmeier, «c'est de cela dont il s'agit, la décision de boire cette potion ensemble en se regardant dans les yeux à ce moment précis». Qu’il s’agisse d’un philtre d’amour ou non importe peu: ils se révèlent l’un à l’autre dans leur vérité, et se lient irrémédiablement.
Ce sont donc ces Tristan et Isolde, dont les sentiments sont le fruit d’une histoire lointaine, qu’Andreas Schager et Camilla Nylund interpréteront en ouverture du Festival de Bayreuth ce 25 juillet et jusqu'au 26 août dans la nouvelle mise en scène de Thorleifur Örn Arnarsson, dirigée par Semyon Bychkov. Parallèlement aux représentations de Bayreuth, la production doit faire l’objet d’une retransmission au cinéma en Allemagne et en ligne sur Stage+, la plateforme de steaming de Deutsche Grammophon.
publié le 23 juillet 2024 à 15h23 parAurelien Pfeffer
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